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« Il importe d’ajouter que les Brâhmanas ne sont aucunement des « Prêtres » au sens occidental et Religieux de ce Mot : sans doute, leurs fonctions comportent l’accomplissement des Rites de différents ordres, parce qu’ils doivent posséder les Connaissances nécessaires pour donner à ces Rites toute leur efficacité ; mais elles comportent aussi, et avant tout, la conservation et la transmission régulière de la Doctrine Traditionnelle ; d’ailleurs, chez la plupart des peuples antiques, la fonction d’Enseignement, que figure la bouche dans le symbolisme précédent, était également regardée comme la fonction Sacerdotale par excellence, par là même que la civilisation tout entière reposait sur un principe Doctrinal. Pour la même raison, les déviations de la Doctrine apparaissent généralement comme liées à une Subversion de la hiérarchie sociale, comme on pourrait le voir notamment dans le cas des tentatives faites à diverses reprises par les Kshatriyas pour rejeter la suprématie des Brâhmanas, suprématie dont la raison d’être apparaît nettement par tout ce que nous avons dit sur la vraie nature de la civilisation hindoue. D’autre part, pour compléter les considérations que nous venons d’exposer sommairement, il y aurait lieu de signaler les traces que ces conceptions Traditionnelles et primordiales avaient pu laisser dans les institutions anciennes de l’Europe, notamment en ce qui concerne l’investiture du « Droit Divin » conférée aux Rois, dont le rôle était regardé à l’origine, ainsi que l’indique la Racine même du Mot Rex, comme essentiellement Régulateur de l’ordre social, mais nous ne pouvons que noter ces choses en passant, sans y insister autant qu’il conviendrait peut-être pour en faire ressortir tout l’intérêt. La participation à la Tradition n’est pleinement effective que pour les membres des Trois premières Castes ; c’est ce qu’expriment les diverses désignations qui leur sont exclusivement réservées, comme celle d’Ârya, que nous avons déjà mentionnée, et de Dwija ou » Deux fois né » ; la conception de la « Seconde Naissance », entendue dans un sens purement Spirituel, est d’ailleurs de celles qui sont communes à toutes les Doctrines Traditionnelles, et le Christianisme lui-même en présente, dans le Rite du baptême, l’équivalent en mode Religieux. Pour les Shûdras, leur participation est surtout indirecte et comme virtuelle, car elle ne résulte généralement que de leurs rapports avec les Castes supérieures ; du reste, pour reprendre l’Analogie du » Corps social « , leur rôle ne constitue pas proprement une fonction vitale, mais une activité mécanique en quelque sorte, et c’est pourquoi ils sont représentés comme naissant, non pas d’une partie du Corps de Purusha ou de l’ « Homme Universel », mais de la Terre qui est sous ses pieds, et qui est l’élément dans lequel s’élabore la nourriture corporelle. Il existe cependant une autre version suivant laquelle le Shûdra Est Né des pieds mêmes du Purusha ; mais la contradiction n’est qu’apparente, et il s’agit seulement là en somme de deux points de vue différents, dont le premier fait surtout ressortir la différence importante qui existe entre les Trois premières Castes et les Shûdras, tandis que le second se rapporte au fait que, malgré cette différence, les Shûdras participent cependant aussi à la Tradition. A propos de cette même représentation, nous devons encore faire remarquer que la distinction des Castes est parfois appliquée, par transposition Analogique, non seulement à l’ensemble des Êtres Humains, mais à Celui de tous les Êtres Animés et inanimés que comprend la nature entière, de même qu’il est dit que ces Êtres Naquirent Tous de Purusha : c’est ainsi que le Brâhmana est regardé comme le type des Êtres immuables, c’est-à-dire supérieurs au changement, et le Kshatriya comme Celui des êtres mobiles ou soumis au changement, parce que leurs fonctions se rapportent respectivement à l’ordre de la Contemplation et à Celui de l’Action. Cela fait voir assez quelles sont les questions de Principe impliquées en tout ceci, et dont la portée dépasse de beaucoup les limites du domaine social, auquel leur application a été envisagée plus particulière ment ici ; ayant ainsi montré ce qu’est cette application dans l’organisation Traditionnelle de la civilisation Hindoue, nous ne nous arrêterons pas davantage sur l’étude des institutions sociales, qui ne fait pas l’objet principal du présent exposé. » – René GUENON – « Introduction générale à l’étude des Doctrines Hindoues » – » Castes » – Tout Guenon » P.973 – Télécharger : rene-guenon-tout guénon-v2 –